Start up & Keep going: Comment financer de manière sécurisée l'émergence d'une nouvelle classe des PME et de-risquer leurs profils.
Au fil de mes déplacements à travers l’Afrique, une constante m’a marqué : la montée en puissance d’une jeunesse entreprenante, audacieuse, désireuse de reprendre le contrôle de son destin économique et d’apporter des solutions concrètes aux défis de son environnement. Cette dynamique se traduit par la naissance d’une multitude de nano, pico, micro, petites et moyennes entreprises — embryons d’une classe moyenne en devenir. Mais cette effervescence entrepreneuriale repose sur une base fragile. Trop de jeunes entreprises disparaissent prématurément, non par manque de volonté ni d’idées, mais faute de soutien structuré, d’accès sécurisé au marché et de mécanismes de financement adaptés à leur réalité. Le crédit bancaire, tel qu’il est conçu aujourd’hui, est inadapté à ces profils pour plusieurs raisons : garanties insuffisantes, faible maturité financière, trésorerie instable. Penser que ces entreprises pourront émerger uniquement via ce canal, c’est nier la réalité du terrain. Il faut donc inventer un modèle qui sécurise leur montée en puissance sans les étouffer dès le départ.
Dans cette réflexion, j’explore un modèle différent qui pourrait être exploité afin de positionner clairement ces entrepreneurs émergeants comme les futures grandes entreprises du continent en les insérant dans la chaîne valeur des entreprises existantes afin de créer des synergies nécessaires au développement du continent. J’appelle ce modèle: l’incubation inversée.
Ce modèle repose sur un principe simple mais structurant : connecter les jeunes entreprises aux chaînes de valeur déjà consolidées, pour mutualiser les forces, sécuriser la demande, et partager les risques parce que:
Les grandes entreprises ont besoin de flexibilité, d’innovation, de la créativité et de nouveaux fournisseurs;
Les jeunes entreprises ont besoin d’un ancrage sur le marché, de trésorerie, et d’un mentorat;
Les institutions financières ont besoin de sécuriser les risques pour financer avec impact;
Les écosystèmes locaux ont besoin de créer des champions nationaux.
Les entrepreneurs ou start-ups en gestation se créent généralement autour des besoins exprimés par la société afin d’apporter des réponses adéquates. Généralement, elles finissent par disparaître faute de moyens financiers et la faiblesse des investissements pour assurer la continuité des activités: Ce n’est pas la volonté qui fait défaut (élément essentiel), moins encore les moyens (le minimum est généralement disponible), mais c’est principalement leur faible ancrage sur le marché, la fragilité de leurs circuits de distribution ainsi que la faiblesse de la trésorerie (élément essentiel pour faire face aux engagements à court terme au démarrage).
Sur ce même marché, il y a d’autres entreprises qui sont passées par ces phases de turbulence et qui ont réussi à stabiliser et consolider leur positionnement sur les marchés, les Keep going. En créant une connexion entre les deux, nous créerons une chaîne économique forte, élastique et durable pour dérisquer le profil de ces jeunes entreprises. Comment?
Les jeunes entreprises qui naissent, pour la majorité, produisent ou rendent des services dont les grandes entreprises établies utilisent ou dont elles ont besoin. Ces dernières ont généralement déjà sécurisé leur circuit d’approvisionnement ainsi que leur cycle commercial avec leurs partenaires historiques. En mettant en relation les deux, il est “fort probable” d’éviter, aux startups, la désillusion de la disparition. Cette mise en relation doit se faire dans un cadre de partenariat entre la grande entreprise, la startup ou la petite entreprise, l’incubateur et une institution financière, dans une intégration verticale et horizontale assumée. Pour réussir cette intégration, les options suivantes peuvent être exploitées :
Formation stratégique : la formation des managers et promoteurs, la fiabilisation du projet, la mise en place d’un business plan ainsi que la détermination d’un business model requièrent un investissement important, mais nécessaire pour la survie de l’entreprise à créer. Pour aider ces start-up ou les petites entreprises qui veulent se développer à se formaliser, il est recommandé de les orienter vers les incubateurs professionnels et expérimentés afin de bénéficier d’un encadrement sur mesure. Cette formation doit permettre de circonscrire tous les aspects nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise une fois en production. Ici l’idée de la formation n’est pas tant la formation théorique (cette partie est généralement assurée par le jeune entrepreneur lors de la définition de l’idée et de la création de l’entreprise. Au-delà de la formation technique, il s’agit ici de fiabiliser les business models, d’optimiser les choix stratégiques; d’éliminer les facteurs de fragilité et de s’appuyer sur des incubateurs expérimentés. Il ne s’agit pas de créer des “bons élèves”, mais de bâtir des entreprises viables, bancables et intégrables.
Intégration : A la fin de la formation, la petite entreprise est connectée à une grande entreprise dans un cadre adapté:
soit un Business Club regroupant les clients d’une institution financière, avec des pitchs croisés entre PME naissantes et grandes entreprises clientes. Ces entreprises, selon leurs profils et secteurs, seront placées aux côtés des entreprises (Keep-Going) qui pourraient bénéficier de leurs produits et/ou services;
soit dans le pool des pépites du patronat local pour une connexion directe avec les entreprises membres afin de consolider le tissu entrepreneurial local et favoriser l’émergence de nouveaux acteurs, nouveaux champions. Ici il est important de rappeler le potentiel inexploité des patronats locaux qui regorgent d’un réel pouvoir de transformation et création de valeur si seulement les membres adoptent une approche de co-construction et de concurrence enrichissante où chaque membre s'engagera à soutenir l'émergence d’une nouvelle entreprise dans son écosystème ou chaîne de valeur. L’idée de la concurrence exclusive et de la domination sans partage a montré ses limites: Une seule entreprise ne pourra jamais satisfaire tous les besoins toute seule. C’est dans la diversité que le marché local trouvera satisfaction. Que chaque membre adopte une jeune entreprise dans sa chaîne de valeur.
soit dans un réseau de business angels/venture capital companies pour accéder à un réseau dense où elle peut lever les fonds nécessaires à son développement et bénéficier des conseils avisés, résultats des observations issues de plusieurs autres investissements similaires sur différents marchés et secteurs. L’accès aux conseils, aux fonds et à l’expérience est crucial. Cela ne crée pas une dépendance, mais une dynamique de co-construction gagnant-gagnant.
Financement : une fois l’intégration finalisée, il se posera la question de la satisfaction des commandes passées à la petite entreprise. Le Financement! A ce stade, il est question d’assurer un accès direct au financement à la petite entreprise pour honorer les premières commandes. Ce financement peut être assuré par:
Intégration directe: Il est question ici que la grande entreprise passe commande avec acompte, supprimant ainsi le besoin immédiat de financement bancaire. L’avantage d’un tel mécanisme est d’assurer un premier chiffre d’affaires au jeune entrepreneur et de l’insérer dans l’écosystème de l’entreprise établie afin d’assurer sa montée en capacité et de de-risquer son modèle. Pour l‘entreprise établie, au-delà de l’engagement de faire émerger un nouveau champion, c’est la négociation d’un meilleur rapport qualité-prix et l’élargissement de sa base de fournisseurs.
Intégration indirecte: la commande de la grande entreprise est adossée à un financement structuré par une institution financière. A défaut d’une intégration directe, une tripartite peut être structurée pour supprimer les barrières et faciliter l’accès: jeune entreprise - entreprise établie - l’institution financière. Le jeune entrepreneur peut présenter les commandes de l’entreprise établie à l’institution financière pour accéder au financement à travers plusieurs solutions disponibles sous forme de crédit, escompte, garantie ou autres produits afin. Avec ce modèle de financement indirect, dûment structuré dans la tripartie, le risque est pris principalement sur l’entreprise établie, mais bénéficie entièrement à la jeune entreprise. Dans cette tripartite structurée, les conditions préférentielles (incluant mais ne se limitant pas au taux d’intérêt de crédit, tarification transactionnelle, disponibilité des équipes, priorité dans la prise en charge, etc.) seront proposées à l’entreprise établie pour l’encourager à adopter la jeune entreprise.
Intégration multilatérale: pour les profils à plus haut risque, il faut penser à la levée de fonds via les Business Angels. Pour les jeunes entrepreneurs qui ne pourront pas bénéficier des intégrations directes et indirectes, ils pourraient être orientés vers les Business Angels ayant cet appétit pour un Equity Investment. Il faut impérativement identifier les forums de ces Business Angels afin de les convier aux présentations de ces start-ups ou à participer au Business Club Event organisés par les institutions financières et les patronats. Il est impérieux que ces différentes plateformes (Business Club, Business Angels, Incubateurs, Institutions financières interagissent régulièrement pour identifier les opportunités afin de les transformer. Un Forum pourrait être créé selon une périodicité à déterminer.
En tripartie, le risque est porté sur l’entreprise consolidée, pas sur la start-up. Ce modèle diminue mécaniquement le coût du risque.
Accompagnement : Former, financer sont nécessaires, mais pas suffisants. Il faut se rassurer que les entreprises nouvellement créées sont accompagnées dans leur développement afin de leur éviter des écueils du parcours de l’entrepreneur. Pour y arriver, il serait intéressant d’associer à chaque start-up, une Keep-going (comme son champion) afin que cette dernière serve de mentor ou conseiller en management. En dehors de l’accompagnement du mentor, il faut aider la start-up (pendant une période à déterminer) sur les aspects administratifs et fiscaux. Pour cela, il est impératif que les structures spécialisées dans cet accompagnement soient intégrées. Trop de start-up échouent faute de soutien après le lancement. L’accompagnement doit durer au moins 12 à 24 mois
Incitatifs : Je suis de ceux qui rappellent que l’Etat n’a de moyens que la richesse créée par son secteur privé et sa population. Un État orienté développement, travaille principalement à l’élargissement de son assiette fiscale en encourageant l’émergence de nouveaux contribuables et l’émergence d’une classe moyenne qui va pousser la consommation. Pour rappel, dans les pays dits “développés ou équipés”, la taxe sur la valeur ajoutée ou la taxe sur la consommation reste l’impôt qui rapporte le plus grâce à sa large assiette fiscale, sa récurrence et prévisibilité et le faible risque d’évasion fiscale. Pour que ce mécanisme fonctionne, il faut que l’Etat devienne un Etat stratège en mettant en place des incitatifs administratifs et fiscaux, particulièrement pour les entreprises qui accompagneront l’émergence de nouveaux acteurs et contribuables dans les zones économiques particulièrement défavorisées du pays. Pour y arriver, il faut que les agences nationales de promotion des investissements travaillent en étroite intelligence avec les acteurs locaux mentionnés ci-dessus (Patronat local, institutions financières, incubateurs, business angels, business forums, etc.) pour proposer des solutions incitatives aux efforts des investisseurs locaux: Un État stratège n’arbitre pas entre investissement étranger et local. Il valorise les alliances locales qui structurent l’assiette fiscale de demain.
L’Afrique ne manque ni de talents ni d’idées. Ce qu’il lui faut aujourd’hui, c’est une ingénierie de l’émergence, une stratégie de maillage entre acteurs, et une logique de co-investissement des risques. Le modèle de l’incubation inversée permettrait de réduire le taux de mortalité des jeunes entreprises, d’accélérer leur bancarisation et formalisation, de renforcer la compétitivité des entreprises établies, d’élargir l’assiette fiscale par la consommation et l’investissement local et surtout, de bâtir un écosystème de confiance, où chaque acteur joue sa partition dans la construction d’un tissu économique résilient.
Très instructif
RépondreSupprimerL'idée selon laquelle les grandes entreprises doivent faire les avances financières au moment de leurs commandes ou dde de service auprès des star -up est une bonne idée, j'espère que ça les aiderait à financer leurs activités surtout qu'il est difficile pour eux d'avoir des financements auprès des banques traditionnelles. La réalité est aussi que même lorsque les start-up sont financées, la majorité d'entre eux en Afrique sont souvent l'objet à problème, c'est pourquoi je me joins à vous d'épingler "la formation", qui selon moi reste le moteur pour la pérennité des start-up. Merci 😊
RépondreSupprimerModèle très intéressant.. cependant comment contourner l´un des problèmes majeurs des start up à savoir se faire voler les concepts où les idées et se voir mettre de côté ? Car souvent les grandes entreprises sensées accompagner ont tendance à absorber la start up.
RépondreSupprimerBonjour à tous,
RépondreSupprimerC'est très édifiants et très instructif pour des personnes qui ont une certaine matière grise dans la cervelle.
▪︎ Personnellement je pense pour être mieux assimilable et pragmatique, pour tous. Des exemples concrets seraient d'une très grande aide.
Très pertinent et surtout concret. Merci pour cette réflexion
RépondreSupprimerTellement concret, merci pour cette réflexion
RépondreSupprimerUne analyse très pertinente sur les défis du financement des start-ups ! L’idée d’incubation inversée est particulièrement intéressante, car elle permet non seulement de structurer les jeunes entreprises, mais aussi de renforcer les synergies avec des acteurs établis. Un modèle gagnant-gagnant qui mérite d’être exploré davantage. Merci pour cette réflexion éclairante !
RépondreSupprimerUne très bonne réflexion,car elle permet non seulement de structurer les jeunes entreprises,mais aussi de renforcer les synergies.
RépondreSupprimer_Christian Dimuini_
Merci beaucoup,
RépondreSupprimerArsène B.ika
Très instructif. L’idée d’incubation inversée est intéressante, car elle permet non seulement de structurer les jeunes entreprises, mais aussi de renforcer les synergies avec des acteurs, surtout le maillage entre acteurs.
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