Accès au financement pour les entrepreneurs de l’Afrique Subsaharienne: choisissons l’intégration des acteurs pour faciliter l’accès!
Très souvent, lorsque les clients (existants et potentiels) m’abordent en marge des rencontres, conférences et autres manifestations, il est souvent question des obstacles d’accès au financement: taux d’intérêt élevés, exigences fortes en garanties, pénalités élevées en cas de défaut de paiement, …, la liste est longue. Très souvent ils ajoutent: le banquier donne difficilement le crédit.
Généralement, le banquier répondra de manière classique en détaillant les raisons de cette situation, souvent liées aux conditions macroéconomiques défavorables: coût de refinancement élevé, fiscalité punitive, inflation galopante et persistante, coûts opérationnels en constante croissance, Cost of doing business, perception du risque pays, etc., les éléments constitutifs du fameux « taux d’intérêt viable ».
Prenons un moment pour réfléchir sur une réponse alternative!
Oui, ces éléments macro-économiques sont certes à considérer, mais ils n’expliquent pas tout. Lorsque j’assure des formations aux collègues, je rappelle généralement une vérité de base: La banque n’a pas été créée par les banquiers, elle a été créée par les commerçants avec un objectif de départ très simple: faciliter les transactions naissantes et grandissantes de leur environnement. En facilitant ces transactions, ces précurseurs de la banque, ont créé et débloqué plusieurs opportunités en s’appuyant sur les quatre questions cardinales de tout commercial: Qui, Quoi, Quand et Comment. Qui pour connaître le client en face, Quoi pour connaître les activités, produits et services, Quand pour connaître le cycle commercial des activités et Comment pour proposer des solutions adaptées pour la satisfaction des besoins identifiés. Depuis lors, le métier du banquier n’a pas évolué: c’est toujours la satisfaction des besoins de ses clients en facilitant les transactions nées de l’exploitation et de la transformation des opportunités identifiées sur le marché.
Mais alors pourquoi tant de barrières?
Suivant la réalité de plusieurs marchés subsahariens, en comparaison avec les marchés suffisamment équipés, il s’observe une faible intégration des acteurs et des solutions, conduisant au développement des approches bancaires averses au risque pour d’excellentes raisons.
En Afrique subsaharienne, les transactions en cash restent prédominantes, malgré l’essor des solutions de paiement mobile. On estime qu’entre 50 et 80 % des transactions sont toujours effectuées en espèces dans cette région. Ce chiffre reste élevé en raison de l’infrastructure bancaire limitée, de l’accès inégal aux services financiers et de l’adoption encore incomplète des solutions numériques. Cependant, des innovations comme le paiement mobile et des initiatives telles que le système de paiement panafricain (PAPSS) favorisent une réduction progressive de l’utilisation de l’argent liquide, en facilitant l’accès aux services financiers numériques pour des millions d’Africains non bancarisés. Mais la dominance forte du cash reste un frein majeur dans le financement de l’économie.
Comment alors espérer financer durablement cette économie avec seulement 20%, en moyenne, du cash intégré dans le circuit formel? Sachant que dans ces 20%, il y a une forte concentration auprès de quelques gros pourvoyeurs comme les entreprises publiques, les caisses de prévoyance/sécurité sociale, les sociétés d’assurance (avec une faible adoption de cette culture d’assurance), difficile de se projeter efficacement. Il se dégage un écart problématique entre les besoins de développement et d’investissement exprimés par le marché avec la disponibilité de la liquidité, mieux du cash, dans les institutions financières pour porter efficacement lesdits projets. Cet écart est souvent couvert par des emprunts contractés auprès des investisseurs/bailleurs étrangers qui viennent avec des conditions « généreuses » parce qu’il faut couvrir les risques macroéconomiques évoqués ci-dessus dont principalement la couverture du risque change (le fameux hedge), du fait des emprunts contractés en devise pour financer en monnaie locale. Cette solution reste onéreuse même si derrière les trésoriers peuvent être ingénieux en gérant rigoureusement la position de change ou en se montrant créatif dans la structuration des opérations de crédit back to back et/ou tant d’autres outils.
Cet écart pourrait se résoudre simplement par la collecte et l’intégration de ces 80% du cash qui circule en dehors du circuit financier classique. Cette intégration ne sera possible que si la confiance entre la population et le secteur financier est restaurée et que la satisfaction des besoins revient au centre de l’action du « banquier », du « financier ». Oui le banquier doit financer, mais si le client ne fait rien passer par le circuit formel, il est absurde de penser à une « révolution » du financement sans moyens financiers: nous continuerons de vivre une petite évolution en lieu et place de la révolution tant souhaitée.
En analysant le circuit du cash sur le marché (origines et destinations), il se dégage clairement que l’intermédiation (l’autre focus du financier) apparaît comme évidence pour tout intégrer. Il faut se placer au milieu de la vie quotidienne de la population (sans barrière ni coûts excessifs) pour récupérer ce cash dans une vraie logique « Low Margin & High Volume ». Le client n’est pas contre les frais, mais il est contre les frais abusifs et exorbitants et veut de la disponibilité de son cash lorsqu’il en a besoin. Avec les solutions existantes, il est possible de répondre efficacement aux attentes de cette clientèle.
L’autre solution reste l’intégration des acteurs majeurs dans le financement des entrepreneurs: Institutions de Microfinance, Banques, Assureurs, Incubateurs, Business Angels et les entrepreneurs pour ne citer que ceux-ci. Aujourd’hui, chaque acteur développe ses solutions suivant son modèle, avec une faible interaction avec les autres, au lieu de penser à un modèle inclusif et impactant. En analysant les solutions existantes sur plusieurs marchés et les besoins desdits marchés, j’ai souvent constaté que tout était sur place pour transformer le paysage financier, mais malheureusement les solutions en question sont gérées en silos. Très généralement, c’est au client de faire toutes les démarches pour consolider ces solutions afin de bénéficier d’un meilleur accompagnement. Mais pourquoi ne pas lui proposer un « All in One »?
Prenons les deux principaux obstacles:
- Absence de garantie:
- Plusieurs organisations financières privées et internationales et/ou entités publiques proposent aujourd'hui des garanties de portefeuille pour augmenter l’appétit des institutions financières à octroyer des crédits. Ces discussions se font et se négocient en bilatéral. En institutionnalisant cette solution et en définissant un cadre idoine où tous les acteurs financiers pourraient intégrer systématiquement leurs clients, cet obstacle de garantie disparaîtrait. Dans certains pays, il est possible de mieux utiliser les fonds des garanties pour de-risquer le financement dans une phase d’intégration économique et d’élargissement de l’assiette entrepreneuriale.
- En plus de ces solutions de garantie de portefeuille, les assureurs ont développé plusieurs autres produits, dont ceux couvrant le restant dû et les cas des accidents, décès et Invalidité. Dans un marché intégré et avec une souscription démocratisée, les sociétés d’assurance offriront trois solutions en une: collecte de l’épargne publique (le cash en circulation en dehors du circuit classique réintégrerai le circuit formel et servira de base pour financer à coûts réduits les projets présentés par les entrepreneurs), la sécurisation du financement et le rétablissement de la confiance du public (point crucial).
- A ce dispositif il faut ajouter un fonds de garantie des dépôts pour rassurer les épargnants et sécuriser leurs fonds. Avec une intégration des assureurs et des organisations de garantie de portefeuille, tout en exploitant les mécanismes de garantie des dépôts, les raisons relatives au coût de financement et garanties trouveront des réponses structurelles efficaces;
- Taux d’intérêt élevé: avec les traitements des éléments repris au point 1 ci-dessus, plusieurs autres éléments qui contribuent au maintien d’un niveau élevé des taux seraient résolus. Ces éléments ne dépendent pas des institutions financières, mais les empêchent d’agir efficacement. En effet, avec une collecte efficace de l’épargne publique et la baisse des coûts y relative, la sécurisation des financements et le rétablissement de la confiance du public, il est évident que les entrepreneurs se focaliseront sur ce qu’ils savent faire le mieux: satisfaire les besoins de leurs clients en créant de la valeur et de la richesse. Il est certainement présomptueux de penser que l’autre composante, la Gouvernance macroéconomique, sera gérée de manière optimale par les autorités compétentes, mais il est aussi vrai qu’en changeant de paradigme et en replaçant l’économique au centre du jeux, les choses changeront. Nous avons pendant longtemps pensé à la phrase: « Faites nous de la bonne politique et nous vous ferons de la bonne économie ». Il est temps de changer d’approche: « Nous vous ferons de la bonne économie pour vous pousser à faire de la bonne politique ». En supprimant les barrières administratives, fiscales et judiciaires grâce à un secteur privé revitalisé et conscient de son rôle dans la transformation socio-économique de son marché et un secteur public enfin au rendez-vous, les taux d’intérêt ne devraient pas être aussi élevés. Ils devraient normalement baisser et s’aligner à la réelle capacité du marché. En dehors de ces efforts macroéconomiques, il existe d’autres solutions alternatives :
- Subventions des taux: subventionner une partie du taux octroyé par une institution financière à un client par une institution privée ou publique orientée développement. Les banques publiques de développement et/ou d’investissement, les fonds de garanties ainsi que les sociétés de participation peuvent être intégrées pour pousser le financement dans des marchés où l’accès reste un frein à cause des taux. Il est vrai que les taux bonifiés et/ou subventionnés ne devraient pas être la règle, mais cette exception temporaire devrait aider à booster les entrepreneurs. Subvention et non Capping!
- Stimuler la concurrence dans le secteur bancaire : Encourager davantage de banques et institutions financières à entrer sur le marché permet de créer une concurrence saine, ce qui peut amener les banques à offrir des taux plus bas pour attirer les emprunteurs. Rien ne sert de concentrer le secteur financier et de mettre trop de barrières à l’entrée.
- Renforcer l’évaluation du risque de crédit : Les banques appliquent souvent des taux élevés pour compenser entre autres les risques de défaut. L’amélioration des outils et méthodes pour évaluer la solvabilité des emprunteurs permet de mieux gérer ces risques, réduisant ainsi les taux d’intérêt. Le scoring a montré, sur plusieurs marchés, qu’une meilleure connaissance du client, de ses activités et de son comportement de remboursement permettait d’améliorer la perception du risque et mieux facturer le risque résiduel (avec un taux d’intérêt adapté).
- Développer l’inclusion financière : Encourager l’utilisation des services financiers par les populations non bancarisées et le développement des solutions de financement numérique (comme le mobile money) peut diversifier les sources de financement et abaisser les taux d’intérêt moyens grâce à un volume de crédit plus important.
- Utilisation de la technologie et du digital : Les banques numériques et fintechs, avec des coûts d’exploitation réduits, peuvent proposer des taux d’intérêt plus compétitifs. Le digital permet aussi des processus plus rapides et une meilleure personnalisation du crédit, réduisant ainsi les coûts.
- Encourager le développement des marchés obligataires : En Afrique et dans d’autres économies émergentes, un marché obligataire développé permettrait aux banques de se financer à des coûts plus faibles et, par conséquent, d’offrir des prêts à taux réduit.
- Augmenter la transparence et l’éducation financière : Éduquer les emprunteurs sur les différents types de prêts et les options disponibles pourrait inciter les banques à proposer des offres plus compétitives et plus adaptées à la demande des clients.
- Ces solutions, si elles sont utilisées ensemble, peuvent réduire significativement les taux d’intérêt des crédits et faciliter l’accès au financement à des conditions plus avantageuses pour les consommateurs et les entreprises.
Oui les conditions d’accès au financement sont, dans plusieurs de nos pays sous-équipés, encore trop contraignantes et peu favorables pour impacter réellement les entrepreneurs. Cependant, une intégration verticale et horizontale des principaux acteurs du financement devrait permettre l’élimination des barrières actuelles et rendre abordable l’accès au financement. Les solutions existent de manière isolée, il faut juste les rassembler dans une dimension « All in One » au service du client pour proposer des solutions révolutionnaires et répondant aux réels besoins de nos marchés respectifs.
Hugues Bonshe
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